Trahison dans l'Himalaya : Le bloc sunnite de Trump, l'isolement de l'Inde et le spectre d'une nouvelle géopolitique – Analyse
La vallée de Baisaran, près de Pahalgam, Jammu-et-Cachemire, Inde. Crédit photo : Hellohappy, Wikipedia Commons. Par Debashis Chakrabarti.
Un silence sanglant résonne à Pahalgam. La poussière à peine retombée sur le sol ensanglanté de Pahalgam, une réalité plus froide hante l'esprit stratégique indien : la trahison n'est plus une suspicion abstraite, mais une certitude géopolitique. Après les récentes attaques terroristes, les États-Unis – partenaires stratégiques supposés de l'Inde – semblent non seulement indifférents, mais complices d'un rééquilibrage de l'Asie du Sud qui expose dangereusement New Delhi. La question n'est plus de savoir si l'Inde a été abandonnée, mais pourquoi, et ce que cela signifie pour l'avenir de la région et du monde.
Les murmures deviennent assourdissants : les ventes d'armes américaines à la Turquie, notamment les missiles air-air AIM-120C-8 AMRAAM, pourraient indirectement profiter au Pakistan. La Turquie, alliée de l'OTAN, renforce sa collaboration militaire avec le Pakistan. Leurs projets conjoints de développement de chasseurs, d'exportation de drones et de transferts de missiles soulignent un alignement stratégique évident. Ces armes américaines pourraient-elles atterrir dans les hangars pakistanais ? Cette hypothèse n'est plus invraisemblable. Pour l'Inde, un tel changement pourrait menacer sa supériorité aérienne et encourager un voisin déjà engagé dans une guerre par procuration.
L'amnésie stratégique américaine : un double jeu en Asie du Sud ? Ce soutien voilé au Pakistan sous la politique étrangère de Trump est particulièrement amer. Trump a souvent présenté l'Inde comme un allié naturel pour contrer la Chine – un contrepoids démocratique, un stabilisateur régional. Pourtant, les récentes actions américaines trahissent une incohérence dangereuse, ou pire, une stratégie émergente qui affaiblit la position régionale de l'Inde. S'agit-il simplement du transnationalisme caractéristique de Trump – où les ventes d'armes priment sur la fidélité aux alliances – ou y a-t-il quelque chose de plus sinistre en jeu ?
La marginalisation calculée de l'Inde, associée au rapprochement stratégique entre la Turquie et le Pakistan, révèle une architecture géopolitique plus profonde, motivée moins par des valeurs démocratiques que par un pragmatisme sectaire et des alliances centrées sur l'énergie. Le silence assourdissant des alliés : une Inde solitaire face à elle-même. Alors que l'Inde ripostait à Pahalgam avec l'opération Sindoor, le silence du monde a été aussi éloquent qu'une condamnation. La Russie – partenaire historique de défense – n'a lancé que de vagues appels à la retenue. Israël – dont les liens de renseignement et de défense avec l'Inde sont pourtant célébrés – est resté étrangement muet. Et le Quad ? L'alliance indo-pacifique tant vantée entre les États-Unis, le Japon, l'Australie et l'Inde s'est effondrée sous le poids de la realpolitik, sans déclaration commune ferme ni soutien stratégique significatif.
Ce vide diplomatique révèle une dure réalité : l'Inde a peut-être surestimé son influence morale. Le monde a peu de patience pour les sentiments, aussi justes soient-ils. C'est ici que la « diplomatie Gandhigiri » de Modi – un appel aux valeurs partagées et au soft power – est mise à nu. L'ambition autoproclamée de l'Inde en tant que Vishwaguru – phare moral du monde – se heurte à l'indifférence glaciale d'un monde de plus en plus gouverné par des calculs géopolitiques transactionnels.
Le bloc sunnite de Trump : une réorientation sectaire en marche ? Une hypothèse plus inquiétante émerge : Donald Trump, par dessein ou sous l'influence de ses alliés, orchestre l'émergence d'un super-bloc sunnite pour contenir l'Iran chiite. Les pièces s'assemblent de manière troublante. Son premier voyage à l'étranger fut à Riyad. Il a conclu des accords d'armement historiques avec l'Arabie saoudite, normalisé les relations entre Israël et les pays du Golfe, et ignoré la question palestinienne sans remords. Si cette architecture inclut l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar, la Turquie, le Pakistan et le Bangladesh – comme certains analystes le craignent – l'Inde n'est pas seulement marginalisée. Elle est ostracisée.
Cette coalition émergente, masquée par une rhétorique antiterroriste et modernisatrice, cache un agenda sectaire plus profond – l'ascendance sunnite sur l'Iran chiite. Dans ce rééquilibrage, l'Inde – avec ses liens nuancés avec l'Iran, sa grande minorité musulmane et son attachement à la non-alignement – n'a pas sa place. L'ironie est cruelle : tandis que l'Inde cherche un ordre mondial pluraliste ancré dans l'autonomie stratégique, elle pourrait être punie pour sa modération. Si Trump devient, métaphoriquement, le « Mohammad Trump » d'un nouvel ordre géopolitique sunnite, la posture indépendante de l'Inde pourrait être perçue non comme de la neutralité, mais comme une obstruction.
Le dilemme iranien : l'Inde peut-elle garder l'équilibre ? Les liens de l'Inde avec l'Iran sont profonds et indispensables – de la sécurité énergétique au projet stratégique du port de Chabahar, un contrepoids à l'emprise chinoise à Gwadar au Pakistan. Pourtant, si un bloc sunnite mené par Trump émerge, la pression sur l'Inde pour abandonner ces liens augmentera. Se soumettre entraînerait des pertes stratégiques ; résister risquerait l'isolement géopolitique. Aucune option n'est souhaitable. Mais alors que les alignements mondiaux se durcissent, l'Inde aura peu de marge de manœuvre. La politique étrangère de Trump – fondée sur le spectacle, les faveurs sectaires et la loyauté transactionnelle – ne tolère pas facilement les nuances diplomatiques. L'Inde, éternelle équilibriste, pourrait devenir une victime collatérale d'un réalignement mondial qui perçoit la modération comme une faiblesse.
Le réveil stratégique : l'Inde doit ouvrir les yeux. Pahalgam livre un verdict sans appel : dans la mouvance des rapports de force mondiaux, l'Inde est isolée. Dans l'impitoyable théâtre des jeux de pouvoir, il n'y a pas d'amis, seulement des intérêts convergents. La trahison dans l'Himalaya doit désormais servir de réveil stratégique à l'Inde. L'avenir exige une refonte radicale de la doctrine diplomatique indienne : Du Gandhigiri à la realpolitik : une quadruple impérative. Premièrement, l'Inde doit prioriser l'indigénisation de sa défense. La dépendance aux fournisseurs étrangers d'armes est une vulnérabilité. L'autonomie dans les technologies critiques – des drones à la cyberguerre – doit devenir une obsession nationale.
Deuxièmement, les alliances doivent être réelles, pas rhétoriques. Les partenariats doivent aussi être transactionnels – mais aux conditions de l'Inde. Cela signifie exiger une solidarité sans équivoque de la Russie, clarifier les attentes envers Israël et renégocier les termes du Quad. Troisièmement, la stratégie de l'Inde en Asie du Sud doit être réinitialisée. Du Bangladesh au Népal, New Delhi doit contrer l'influence chinoise non par l'arrogance, mais par une empathie stratégique et un engagement économique robuste. Quatrièmement, l'Inde doit naviguer prudemment dans la fracture sunnite-chiite. Tout en évitant les alignements sectaires, elle doit préserver ses intérêts énergétiques et stratégiques sans paraître passive ou complaisante.
Plus d'illusions : la solitude stratégique comme force. Ce qui émerge est un moment de solitude qui n'a pas besoin d'être une faiblesse. Pour l'Inde, cela pourrait marquer le début d'une politique étrangère plus musclée – débarrassée des sentiments, ancrée dans l'intérêt national et adaptée à un monde multipolaire et moralement complexe. L'ère du Gandhigiri est révolue. L'illusion d'un filet de sécurité atlantiste aussi. L'Inde doit désormais embrasser le réalisme néhruvien, non par nostalgie, mais par nécessité : une évaluation lucide du pouvoir, soutenue par une préparation à toute éventualité. Pahalgam n'était pas seulement une attaque sur le sol. C'était un coup porté à l'âme de la diplomatie indienne. Le monde s'est détourné. L'Inde doit maintenant se tourner vers elle-même – et se relever.