L'Amérique désapprend : Quand l'ignorance devient une idéologie
Lors d'une récente audition au Sénat, la secrétaire à la Sécurité intérieure Kristi Noem a été incapable de définir correctement l'habeas corpus, révélant une inquiétante érosion des connaissances fondamentales chez les dirigeants américains. Cet incident symbolise un phénomène plus large : la dévalorisation systématique du savoir et des institutions dans l'Amérique contemporaine, particulièrement sous l'ère Trump.
L'habeas corpus, pilier des libertés anglo-saxonnes permettant de contester une détention arbitraire, a été confondu avec un pouvoir présidentiel d'expulsion. Cette méprise n'est pas une simple erreur factuelle, mais le symptôme d'un mépris croissant pour l'architecture juridique qui protège la démocratie.
L'administration Trump a institutionnalisé cette dérive. Le président traitait les faits comme des accessoires de spectacle, les utilisant ou les rejetant selon leur convenance politique. Cette approche théâtrale du savoir a séduit une partie de l'électorat, flattant leur méfiance envers les élites intellectuelles.
Les conséquences sont tangibles. Des nominations comme celle de Betsy DeVos à l'Éducation ou de Ben Carson au Logement, sans qualifications pertinentes, reflétaient une idéologie : le démantèlement délibéré de l'expertise gouvernementale au nom d'une méfiance envers l'État profond.
Cette philosophie a engendré une génération de dirigeants coupés des traditions civiques. La politique climatique en témoigne : le rejet des protections environnementales ne s'appuyait sur aucune science alternative, mais sur un refus pur et simple de la science. Pendant la pandémie, la rhétorique de la liberté individuelle a éclipsé toute notion de responsabilité collective.
Dans l'univers politique trumpiste, la crédibilité ne vient plus de la connaissance mais de la certitude inébranlable. L'hésitation est perçue comme une faiblesse, la réflexion comme un handicap. Cette culture laisse peu de place à l'humilité nécessaire à toute gouvernance responsable.
La crise actuelle dépasse le cadre américain. Ce n'est pas un simple déficit de connaissances, mais un effondrement moral. Les habitudes civiques qui sous-tendent la démocratie - écoute, délibération, capacité à reconnaître ses erreurs - s'atrophient lorsque les dirigeants confondent assurance théâtrale et compétence réelle.
Nous vivons une époque de fragilité épistémique où les institutions peinent à maintenir leur autorité. Quand les leaders traitent les faits comme négociables, ils sapent la confiance publique et enseignent aux citoyens à en faire autant.
Le remède à cette crise ne sera pas politique mais culturel. Il nécessite de retrouver le respect de la vérité non comme instrument de pouvoir, mais comme bien commun. L'erreur n'est pas honteuse ; ce qui l'est, c'est de persister dans l'ignorance parce que l'arrogance est récompensée.
Face à ce défi, le rôle d'une presse indépendante, libre des intérêts commerciaux, devient crucial. C'est seulement en cultivant collectivement une éthique de la vérité que les démocraties pourront retrouver leur équilibre.