La Banque Mondiale instrumentalise la crise climatique pour accaparer des terres, dénonce l'Oakland Institute
La Banque Mondiale promeut l'expansion de la propriété privée des terres sous couvert d'améliorer leur utilisation efficiente, avec des milliards de dollars récemment annoncés pour soutenir ces politiques. Elle affirme que cela facilitera les projets carbone, y compris la compensation et le reboisement. Cependant, une analyse de l'Oakland Institute (OI) révèle que ces investissements profitent massivement aux grandes entreprises au détriment des communautés locales et autochtones.
« La Banque détourne la crise climatique pour servir un agenda qui ne concerne pas le climat, mais les intérêts financiers et corporatifs alimentant cette crise », explique Frédéric Mousseau, directeur des politiques de l'OI, dans un échange par email avec Mongabay. Aux Philippines, par exemple, la réforme agraire des années 1980 avait créé des coopératives agricoles permettant aux paysans de gérer collectivement leurs ressources. En 2020, la Banque Mondiale a commencé à promouvoir les titres fonciers individuels, permettant aux agriculteurs d'utiliser leurs terres comme garantie pour obtenir des crédits. Résultat : beaucoup ont vendu leurs terres à des sociétés ou des familles riches, parfois « persuadés » par des visites de soldats, selon le rapport.
Cette politique de transformation du régime foncier est particulièrement marquée en Afrique, où de vastes étendues sont gérées collectivement par les communautés. Le rapport détaille « un agenda explicite pour pousser les agriculteurs africains hors de l'agriculture », citant un rapport 2024 de la Banque Mondiale vantant la propriété privée comme solution au changement climatique et au développement économique. Pour l'OI, ces réformes déplaceront les petits exploitants au profit de l'agro-industrie – comme aux Philippines. « Bien que la promotion de l'agro-industrie à grande échelle soit mondiale, le continent africain en est la cible centrale », souligne le rapport.
L'OI conteste également l'affirmation de la Banque selon laquelle la propriété privée permettrait aux communautés locales de bénéficier du boom minier lié à la transition énergétique. L'institut doute que les populations acceptent l'exploitation minière sur leurs terres nouvellement titrées. Comme l'a documenté Mongabay au Brésil, en Bolivie, au Chili, en Argentine et au Zimbabwe, l'extraction minière engendre souvent des ravages environnementaux et sociaux.
Les projets de crédits carbone soutenus par la Banque sont aussi remis en question. Des enquêtes de Mongabay au Cambodge, au Suriname, au Congo et au Brésil révèlent qu'ils entraînent fréquemment des accaparements de terres et des violations des droits humains, malgré l'émergence de projets communautaires. « Avant, on avait des accaparements de terres. Maintenant, ce sont des accaparements de carbone », résume Akinwumi Adesina, président de la Banque Africaine de Développement. Contactée par Mongabay, la Banque Mondiale n'a pas répondu.
Michel Pimbert de l'Université de Coventry, cité dans l'étude, alerte : ces initiatives « expulseront des millions de personnes des campagnes, sapant les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire ». Pour Mousseau, la solution réside dans une taxation de la richesse mondiale pour financer l'action climatique et limiter les activités corporatives émettrices de gaz à effet de serre.