Terre d'égalité ou Forteresse Australie ? Une journaliste globe-trotteuse interroge les mythes australiens – et la notion même de nationalité
Le concept des « desire paths » – ces sentiers tracés naturellement par les humains ou les animaux, empruntant des itinéraires plus logiques que les chemins officiels – connaît un regain d'intérêt. Des milliers de photos partagées sur Reddit, des urbanistes qui les étudient... Ces tracés, à la fois banals et profonds, symbolisent aujourd'hui l'autonomie humaine et le triomphe du bon sens sur l'autorité. Dans son mémoire « Desire Paths », la journaliste Megan Clement, basée à Paris et ancienne habitante de Melbourne, explore ce terme à travers le prisme de son parcours migratoire et professionnel. Entre réflexions personnelles et géopolitiques, elle questionne les choix de vie, les hasards et les contraintes qui façonnent nos trajectoires. Pourquoi certains peuvent-ils emprunter ces chemins de liberté, tandis que d'autres, comme les demandeurs d'asile, sont punis pour avoir tenté de les suivre ?
L'ouvrage s'ouvre sur le moment troublant du début de la pandémie de COVID-19 en 2020, alors que les frontières mondiales se fermaient. Clement rentre à Melbourne pour accompagner son père dans ses dernières semaines, après l'échec de sa chimiothérapie. Depuis une fenêtre d'Airbnb, elle observe les « desire paths » du parc Fleming et médite sur son propre parcours : de son arrivée en Australie en 2000 avec sa famille, en passant par ses expériences au Mexique et en France, jusqu'à ce retour douloureux.
Clement déconstruit les mythes australiens : le pays chanceux, sûr, raisonnable, où règne l'équité (« fair go »). Ces croyances, inapplicables aux Premières Nations, aux pauvres, aux malades ou aux minorités, cachent une réalité plus sombre : l'Australie-forteresse. Testée négative au COVID, elle peut voir ses parents sans les serrer dans ses bras. Mais un choix cornélien l'attend : retourner à Paris (au risque de ne pouvoir revenir) ou rester piégée en Australie. Son père la convainc de repartir, mais face à l'aggravation de son état, elle revient – pour atterrir en quarantaine à l'hôtel Holiday Inn de l'aéroport, où elle observe les dysfonctionnements du système.
La quarantaine hôtelière révèle ses failles : personnel non formé, équipements de protection inadaptés. Clement alerte anonymement les médias, puis s'expose sur Twitter, suscitant des critiques. « C'est une urgence sanitaire, Karen ! » lui lance un anonyme, touchant sa peur d'être perçue comme une privilégiée capricieuse. La seconde partie du livre explore son histoire familiale, balayant l'argument des « problèmes de pays riches ». Son père, marqué par la mort précoce de sa mère, a choisi de vivre pleinement, passant du Royaume-Uni au Zimbabwe, puis à Melbourne. Clement, devenue journaliste, couvre les négociations climatiques à Paris après les attentats du 13 novembre 2015. Son récit des attaques, précis et humain, contraste avec son analyse sans concession de la politique australienne, notamment la cruauté envers les demandeurs d'asile.
Entre mémoire et manifeste, « Desire Paths » évite les confessions trop intimes pour se concentrer sur une critique acerbe de l'Australie et une réflexion sur l'appartenance. Si son parcours est unique, ses interrogations sur l'identité, l'exil et l'injustice résonneront auprès des millions de migrants australiens. La pandémie a rappelé la fragilité de la vie et de la liberté – autant en profiter, semble-t-elle conclure.