Pourquoi la gauche se trompe sur l'extrême droite : L'erreur matérialiste
Depuis une décennie, la montée du populisme de droite à l'échelle mondiale a suscité une réponse particulière de la gauche socialiste. Selon cette théorie, l'ascension de Donald Trump et d'autres leaders d'extrême droite serait la conséquence de la trahison des partis de centre-gauche envers leur électorat ouvrier, à travers des politiques néolibérales et de libre-échange. Cependant, cette analyse « classe d'abord » échoue à expliquer la réalité. Les études montrent que les facteurs culturels et idéologiques pèsent plus lourd que les considérations économiques dans le soutien à l'extrême droite, tant en Europe qu'aux États-Unis. Les candidats socialistes comme Bernie Sanders ou Jeremy Corbyn n'ont pas réussi à séduire l'électorat ouvrier ou d'extrême droite. Les tentatives des partis de centre-gauche pour se radicaliser, comme l'agenda « post-néolibéral » de Joe Biden, n'ont pas ramené les électeurs déçus. La raison profonde de cette erreur d'analyse réside dans l'attachement de la gauche à la doctrine matérialiste. Issue de la pensée marxiste, cette théorie place les intérêts matériels et économiques au cœur des motivations humaines, considérant les autres facteurs comme secondaires. Pourtant, cette approche se révèle réductrice face à la complexité des comportements électoraux. En cherchant systématiquement des causes matérielles aux votes d'extrême droite, la gauche ignore l'importance des croyances, des valeurs et des identités culturelles. Des chercheurs comme Vivek Chibber défendent une version plus sophistiquée du matérialisme, admettant que les individus peuvent poursuivre des intérêts non matériels une fois leurs besoins de base satisfaits. Mais cette concession affaiblit la portée explicative de la théorie. L'analyse de Chibber sur le déclin du vote de classe illustre ce dilemme. Face à des électeurs riches votant pour des hausses d'impôts et des ouvriers soutenant des partis anti-redistribution, il invoque une manipulation médiatique des élites économiques. Cette explication ne résiste pas à l'épreuve des faits, notamment face au succès de Trump malgré l'hostilité des médias traditionnels. La véritable explication de la montée de l'extrême droite réside dans un changement idéologique global. Les progrès de l'égalité (racial, genre, etc.) ont provoqué un rejet parmi les segments traditionalistes de la population. Les partis d'extrême droite ont su capter cette anxiété identitaire. Pour contrer efficacement l'extrême droite, la gauche doit abandonner son cadre d'analyse purement matérialiste et prendre au sérieux les dimensions culturelles et identitaires des comportements politiques. Cela ne signifie pas renoncer aux objectifs progressistes, mais adapter les stratégies à la réalité complexe des motivations électorales contemporaines.