Vision des couleurs : Un exploit biologique enfin répliqué par la science
Pour concevoir un œil artificiel capable de voir et de traiter les couleurs comme l'œil humain, il doit être à la fois hautement économe en énergie et capable de filtrer une quantité massive de données visuelles. Des scientifiques japonais ont mis au point un œil artificiel neuromorphique, s'inspirant directement de notre biologie. Cette percée technologique ouvre des perspectives immenses pour des applications complexes comme la vision des véhicules autonomes.
L'œil humain accomplit tant de prouesses biologiques qu'il est facile de s'y perdre. Entre autres : les muscles ciliaires permettent une mise au point automatique quasi instantanée, environ 240 millions de bâtonnets aident à s'adapter à l'obscurité, et le système cerveau-œil peut traiter des images entières en 13 millisecondes. Cette efficacité pose un défi de taille aux scientifiques cherchant à reproduire ces mécanismes dans des systèmes neuromorphiques, qui visent à imiter la structure et le fonctionnement du cerveau humain.
La vision étant le sens principal par lequel nous interagissons avec le monde, elle constitue une pièce maîtresse - et l'une des plus difficiles à reproduire - du puzzle neuromorphique. Pendant des décennies, les chercheurs ont progressé dans la reproduction artificielle de l'œil, un processus généralement en deux étapes : recréer une fonction oculaire de base, puis imiter son efficacité énergétique. Une équipe de l'Université des Sciences de Tokyo a réussi cet exploit en reproduisant notamment notre capacité à distinguer les couleurs, comme détaillé dans leur étude publiée en mai dans Scientific Reports.
'Les synapses artificielles neuromorphiques sont étudiées depuis les années 2000, inspirées par la façon dont les synapses biologiques traitent et stockent l'information', explique Takashi Ikuno, professeur associé et auteur principal de l'étude. L'objectif est de créer des systèmes imitant la structure cérébrale, notamment sa capacité d'apprentissage à faible consommation énergétique.
Pour leur expérience, l'équipe a utilisé des cellules solaires photosensibles pour reproduire la capacité des cônes oculaires à discerner les couleurs. Ikuno, avec son expertise en matériaux photovoltaïques acquis chez Toyota, avait déjà créé en 2016 un photodétecteur réagissant différemment selon la longueur d'onde lumineuse. Dans cette nouvelle étude, l'équipe a développé une synapse optoélectronique autosuffisante capable de détecter les couleurs.
Le système utilise deux cellules solaires sensibles aux colorants (D131 pour le bleu et SQ2 pour le rouge) qui analysent la lumière tout en s'en servant comme source d'énergie. Ces cellules détectent non seulement la lumière mais aussi ses caractéristiques chromatiques avec une précision de 10 nanomètres, grâce à la polarité du signal de sortie.
'Nous avons réalisé que la reconnaissance des couleurs ne dépend pas uniquement de l'intensité lumineuse', note Ikuno. 'En exploitant d'autres dimensions comme la polarité et la dynamique temporelle, nous pouvons créer des systèmes visuels plus robustes et économes.' Cette approche multidimensionnelle pourrait révolutionner le développement des synapses optoélectroniques nouvelle génération.
Le système présente cependant des limites, notamment l'utilisation d'un électrolyte liquide posant des questions de stabilité à long terme. Les futures versions opteront probablement pour un design solide, avec des colorants améliorés pour une meilleure réponse spectrale. Contrairement à nos yeux limités par l'évolution, ces synapses artificielles n'ont pour limite que notre ingéniosité.
Si l'on imagine facilement cette technologie équipant des robots futuristes, ses applications immédiates concernent plutôt les capteurs optiques omniprésents - des montres connectées aux véhicules autonomes. La capacité à extraire des informations chromatiques tout en économisant l'énergie rapproche ces dispositifs de l'efficacité biologique qui inspire tant les chercheurs.
'Le fait que nos yeux reconnaissent les couleurs dans diverses conditions, avec si peu d'énergie, est véritablement remarquable', conclut Ikuno. 'Reproduire ne serait-ce qu'une infime partie de cette capacité m'a donné une profonde admiration pour la vision biologique.'