Les géants de l'IA séduisent les jeunes docteurs avec des salaires mirobolants, menaçant l'enseignement supérieur
Les entreprises spécialisées en intelligence artificielle attirent les jeunes docteurs avec des salaires faramineux, suscitant des craintes d'un exode des cerveaux académiques. Larry Birnbaum, professeur d'informatique à l'Université Northwestern, tentait de recruter un brillant doctorant comme chercheur. Parallèlement, Google courtisait le même étudiant. Lors de sa visite du siège californien, la firme lui a offert une rencontre avec ses dirigeants, dont la fortune combinée dépasse 140 milliards de dollars. "Comment rivaliser avec ça ?" s'interroge Birnbaum, soulignant que les salaires en entreprise peuvent quintupler les 155 000$ annuels moyens d'un professeur.
Ce phénomène s'est intensifié avec l'explosion des rémunérations dans le secteur. Meta aurait proposé des salaires à sept ou huit chiffres à certains chercheurs expérimentés, tirant vers le haut les offres faites aux jeunes diplômés. Certains doctorants sans expérience professionnelle reçoivent désormais des propositions équivalentes à celles des cadres dirigeants.
Les universitaires s'inquiètent d'une fuite des cerveaux qui priverait les laboratoires académiques de leurs meilleurs éléments. Pour les critiques, ces chercheurs contribuent principalement aux profits des géants tech sans bénéfice public. D'autres estiment que le monde académique reste dynamique dans ce marché florissant.
Anasse Bari, professeur à NYU, souligne l'impact significatif de ces offres sur l'académie. Malgré de nombreuses sollicitations industrielles, il privilégie sa mission éducative. Avant ChatGPT, les chercheurs pouvaient cumuler postes universitaires et industriels, mais ce modèle décline face aux offres exigeant un engagement exclusif.
Henry Hoffman, de l'Université de Chicago, constate cette tendance depuis 2013. Il cite le cas d'un étudiant ayant quitté son doctorat pour un poste à six chiffres chez ByteDance. "Quand les étudiants obtiennent le job rêvé, inutile de les retenir", admet-il.
Le marché contraste fortement avec la situation des diplômés de licence, dont les débouchés traditionnels en programmation sont menacés par les LLM. En revanche, les docteurs en IA sont très demandés: 70% rejoignent le privé en 2023 contre 20% il y a vingt ans.
Les programmes doctoraux en IA voient leurs candidatures exploser (+12% à Chicago), nécessitant des recrutements de professeurs. Malgré les coupes budgétaires fédérales, la recherche en IA bénéficie souvent de financements industriels, comme le partenariat Google-Université de Chicago.
Johns Hopkins investit 2 milliards sur cinq ans pour son nouvel institut dédié, recevant des centaines de candidatures. Certains chercheurs restent par conviction éthique, critiquant le surmenage des capacités des LLM par les entreprises. Luis Amaral (Northwestern) dénonce les risques sociétaux et environnementaux de ces stratégies.
Les laboratoires académiques demeurent cruciaux pour explorer des architectures alternatives aux LLM, selon Bari qui travaille sur un modèle inspiré de l'intelligence aviaire. Dans ce paysage dominé par le privé, leur rôle de plateforme pour des approches non conventionnelles gagne en importance.