L'asile psychiatrique français qui abrita des résistants de la Seconde Guerre mondiale—et où les patients devinrent artistes
L'histoire de l'asile psychiatrique de Saint-Alban-sur-Limagnole en France est un récit poignant de résistance, d'humanité et de création artistique pendant la Seconde Guerre mondiale. Sous la direction du psychiatre catalan Francesc Tosquelles (1912-1994), cet établissement devint un havre pour les patients mentaux et les réfugiés fuyant les Nazis, tout en favorisant une approche thérapeutique révolutionnaire intégrant l'art.
Entre 1936 et 1939, la guerre civile espagnole poussa un demi-million de personnes à fuir vers le sud de la France. Après la capitulation française en 1940, les réfugiés socialistes espagnols furent internés, beaucoup étant déportés vers les camps de concentration. Dans les asiles psychiatriques français, 40 000 patients moururent de faim ou de froid—un fait méconnu.
Tosquelles, ancien membre du POUM (parti marxiste catalan), avait commencé sa carrière en soignant les soldats républicains espagnols traumatisés. Fuyant l'Espagne, il fut recruté à Saint-Alban où il transforma cet asile insalubre en un modèle de thérapie institutionnelle. Sa méthode abolissait les hiérarchies entre soignants et patients, permettant à ces derniers de travailler dans des fermes locales et de créer des œuvres d'art.
Les œuvres des patients, comme les sculptures d'Auguste Forestier (1887-1958) ou les broderies de Marguerite Sirvins (1890-1957), attirèrent l'attention des surréalistes. Le poète Paul Éluard et Tristan Tzara se cachèrent même dans l'asile. En 1945, Jean Dubuffet y découvrit ce qu'il nommerait plus tard l'"art brut".
Bien que menacé par la famine et l'occupation nazie, Saint-Alban survécut miraculeusement. L'accent catalan incompréhensible de Tosquelles aurait pu décourager les collaborateurs. L'héritage de Tosquelles réside dans sa vision humaniste : pour lui, le contexte créatif de Saint-Alban importait plus que la reconnaissance artistique. Son approche, qu'il nommait "co-vivance", permit à des artistes comme Forestier de s'épanouir malgré la folie de la guerre.