Le savoir autochtone est une science vivante : cessez de le voler
Le savoir autochtone est une science vivante qui mérite reconnaissance et investissement pour protéger les connaissances des peuples indigènes, garantes de la préservation de la nature. Les motifs rouges peints sur les visages et les corps des peuples autochtones fascinent depuis longtemps le monde extérieur. Cette teinte provient de l'urucum, un pigment issu des graines d'une plante native d'Amérique du Sud et centrale, utilisée depuis des siècles dans nos rituels et notre quotidien.
Dans ma communauté Pankararu au Brésil, l'urucum possède des propriétés médicinales ainsi qu'une signification culturelle et spirituelle. Plus qu'un simple pigment, il nous relie à nos ancêtres, à la terre et aux divinités qui nous protègent. Grâce à des générations d'observation et de pratique, nous savons qu'il n'irrite pas la peau, ce qui le rend sûr pour les nouveau-nés, les jeunes, les mères et les personnes âgées. Cette connaissance, transmise oralement et par l'expérience, représente la science autochtone dans sa forme la plus pure.
Pourtant, notre sagesse a été exploitée sans reconnaissance. Des chercheurs et entreprises, venus en amis dans nos communautés, ont breveté nos savoirs partagés, prétendant avoir « découvert » ce que nous connaissions depuis toujours. Des plantes sacrées ont été réduites à des fragments d'information génétique, volés de nos territoires vers leurs laboratoires. Aujourd'hui, l'urucum est commercialisé comme un colorant révolutionnaire et hypoallergénique pour la médecine et les cosmétiques, sans mentionner les scientifiques autochtones qui en ont exploré les propriétés en premier.
Ce vol reflète une crise plus large : l'effacement des savoirs autochtones alors que la biodiversité est elle-même menacée. Les espèces disparaissent au moins dix fois plus vite que le taux naturel, avec un déclin particulièrement rapide dans les pays du Sud. Près de la moitié des zones clés de biodiversité mondiale se trouvent sur des terres autochtones. Ce n'est pas un hasard : notre gestion, guidée par la science et les pratiques traditionnelles, a maintenu et enrichi cette biodiversité. Pourtant, notre rôle de protecteurs est constamment ignoré.
Face à cette urgence, le Fonds Cali a été lancé en février 2025 sous la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (CDB) pour mobiliser des fonds en faveur de la conservation mondiale. Placé sous gouvernance onusienne, ce fonds reverse au moins 50 % de ses revenus aux peuples autochtones et communautés locales, reconnaissant leur rôle central dans la préservation de la biodiversité. Le Fonds Cali sera alimenté par des entreprises ayant profité des ressources génétiques (Informations sur les séquences numériques - DSI) issues de la conservation autochtone, comme les produits chimiques synthétiques dérivés de l'urucum.
Investir dans le Fonds Cali n'est pas seulement un soutien aux peuples autochtones. C'est aussi un choix économique avisé. Le secteur privé a longtemps sous-estimé la nature, considérant les écosystèmes comme des externalités. Pourtant, les services fournis par une forêt – eau potable, air pur, stockage de carbone, protection de la biodiversité – valent des milliers de milliards de dollars. Aujourd'hui, la double crise de la perte de biodiversité et du changement climatique menace l'économie mondiale, avec plus de la moitié du PIB mondial (44 000 milliards de dollars) en danger. Selon l'ONU, la disparition d'écosystèmes sains pourrait entraîner une chute de 2 700 milliards de dollars du PIB mondial, soit 338 dollars par personne chaque année.
En réponse, l'Autriche, le Danemark, la France, l'Allemagne, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le Royaume-Uni et la province de Québec ont promis 163 millions de dollars de soutien initial au Fonds Cali. Mais l'engagement du secteur privé est crucial, notamment des industries dont les modèles dépendent des ressources génétiques que seule une nature saine et biodiversifiée peut fournir. Chaque action qui fragilise les écosystèmes a des répercussions économiques et sociales, menaçant la stabilité des entreprises et la prospérité mondiale.
En tant que femme autochtone, j'ai vu comment nos pratiques traditionnelles et notre sagesse ancestrale ont préservé la santé de nos écosystèmes. Notre connaissance de la terre et de la biodiversité n'est pas une abstraction. C'est une science vivante. Des investissements comme le Fonds Cali ne sont pas un simple vernis. Comme l'urucum, ils servent plusieurs objectifs : renforcer l'économie mondiale, valoriser la sagesse autochtone et protéger la nature qui nous soutient. Il est temps que les entreprises et les gouvernements reconnaissent que notre avenir dépend de la santé de la Terre et qu'ils nous soutiennent, nous, les communautés autochtones, locales et afro-descendantes.