L'Histoire Tragique du Néolibéralisme – Une Analyse Éclairante
Par Robert Reich. Je vous demande rarement de regarder des graphiques. Aujourd'hui fait exception. Celui-ci provient de l'Economic Policy Institute. Il compare le salaire moyen des Américains depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (ligne bleu clair) avec la croissance de la productivité nationale (ligne bleu foncé). Le graphique révèle un écart croissant entre la hausse des salaires et les gains de productivité.
Durant les trois premières décennies après la guerre, les salaires ont progressé au même rythme que la productivité. Les bénéfices étaient largement partagés. Mais à partir de la fin des années 1970, et surtout après 1980, les salaires ont stagné malgré une productivité en forte hausse. Les bénéfices ont été captés par les plus riches.
Pourquoi ? J'ai étudié cette question pendant des décennies, en tant que responsable politique sous Jimmy Carter, secrétaire au Travail sous Clinton, et conseiller économique d'Obama. J'en parle dans mon mémoires à paraître, Coming Up Short. La réponse tient en grande partie à un transfert massif du pouvoir vers le haut.
Tout a commencé en 1971 avec un mémo de Lewis Powell pour la Chambre de Commerce, incitant les entreprises à s'impliquer davantage en politique. Elles l'ont fait, au bénéfice de leurs dirigeants et actionnaires. Les baisses d'impôts et dérégulations de Reagan, son anti-syndicalisme, et l'essor des raiders exigeant la maximisation de la valeur actionnariale ont amplifié ce mouvement.
Les accords de libre-échange sous Bush père et Clinton (ALENA, OMC), la dérégulation de Wall Street, les baisses d'impôts de Bush fils pour les riches, et le sauvetage des banques par Obama après la crise de 2008 ont complété ce tableau. Dérégulation, privatisations, libre-échange : le résultat fut des salaires stagnants pour la majorité, et une bourse florissante pour les élites. Tel est l'héritage du néolibéralisme.
Cette politique a aussi engendré Trump, qui a exploité la colère populaire tout en favorisant l'oligarchie (via notamment d'énormes baisses d'impôts). Aujourd'hui, certains néoconservateurs tentent de réhabiliter le néolibéralisme. David Brooks du New York Times prétend que : 1) La stagnation des salaires date des années 1970-80, pas de l'ère néolibérale (faux : le graphique montre l'écart croissant) 2) Les salaires ont augmenté depuis l'ALENA (faux) 3) Les inégalités sont limitées (contesté par la plupart des experts) 4) La politique économique 1992-2017 était sensée (elle a pourtant nourri le trumpisme).
Le néolibéralisme ne mérite aucune réhabilitation. Nous avons besoin d'un populisme progressiste qui : - Démantèle les monopoles - Régule Wall Street (rétablir Glass-Steagall) - Élimine l'argent de la politique - Impose le partage des profits avec les employés - Lutte contre le changement climatique - Renforce les syndicats - Taxe les ultra-riches - Finance un revenu universel, Medicare for All et les congés parentaux.
Ce programme déplaira aux défenseurs du statu quo, mais revenir en arrière ne ferait qu'engendrer de nouveaux Trump. Cet article a été publié sur le Substack de Robert Reich.