Banu Mushtaq, lauréate du Prix International Booker : Portrait d'une voix rebelle de la littérature indienne
L'autrice indienne Banu Mushtaq a remporté le prestigieux Prix International Booker 2023 pour son recueil de nouvelles "Heart Lamp" ("Hridaya Deepa" en version originale), devenant ainsi la première écrivaine de langue kannada à recevoir cette distinction. Lors de son discours d'acceptation le 20 mai, elle a déclaré : "Ce livre est né de la conviction qu'aucune histoire n'est insignifiante ; que dans la tapisserie de l'expérience humaine, chaque fil porte le poids de l'ensemble".
Née en 1948 dans une famille musulmane du Karnataka, en Inde du sud-ouest, Banu Mushtaq a brisé les conventions en poursuivant des études universitaires et en épousant par amour à 26 ans. Son œuvre, profondément ancrée dans son expérience personnelle et son engagement social, explore avec une acuité remarquable la condition des femmes et des communautés marginalisées.
Le jury du Booker a salué son écriture comme "à la fois spirituelle, vivante, émouvante et cinglante, construisant des sommets émotionnels déconcertants à partir d'un riche style oral". Ses personnages - enfants espiègles, grands-mères audacieuses, maris souvent maladroits et mères survivant à leurs sentiments à grand prix - révèlent une observatrice exceptionnelle de la nature humaine.
Avant de connaître la reconnaissance internationale, la vie de cette écrivaine de 77 ans a traversé des moments d'une obscurité profonde. Dans une interview récente au magazine indien The Week, elle a révélé avoir un jour versé de l'essence sur elle-même, prête à s'immoler, avant que son mari ne la dissuade en plaçant leur bébé à ses pieds. Cette expérience douloureuse, qu'elle attribue en partie à une dépression post-partum, a nourri son écriture et renforcé son empathie.
Dans les années 1980, Mushtaq s'est engagée dans les mouvements sociaux du Karnataka visant à abolir les hiérarchies de caste et de classe. Tout en travaillant comme journaliste pour un tabloïd local puis en devenant avocate, elle a développé une voix littéraire unique, contribuant de manière significative au mouvement Bandaya Sahitya (Littérature rebelle) qui dénonce les injustices sociales.
Son activisme et ses écrits lui ont valu des menaces, dont une fatwa en 2000 pour avoir défendu le droit des femmes musulmanes à entrer dans les mosquées. Un homme a même tenté de l'attaquer au couteau. Malgré ces dangers, elle poursuit son combat : "J'ai toujours contesté les interprétations religieuses chauvines", a-t-elle déclaré.
"Heart Lamp" rassemble 12 nouvelles écrites entre 1990 et 2023. Son œuvre comprend six recueils de nouvelles, un roman, un recueil de poésie et de nombreux essais. La traduction anglaise, réalisée par Deepa Bhasthi qui a également servi d'éditrice pour la sélection des textes, a été saluée par le jury comme "une traduction radicale qui bouscule la langue".
Bien que sa langue maternelle soit l'ourdou, Mushtaq a choisi d'écrire en kannada, qu'elle a appris à huit ans. Son style mêle souvent le kannada au ourdou Dakhni, reflétant la diversité linguistique de sa région. La traduction conserve plusieurs mots en kannada, ourdou et arabe, offrant aux lecteurs anglais une expérience authentique.
Avec environ 65 millions de locuteurs, le kannada reste pourtant souvent marginalisé dans l'industrie éditoriale indienne au profit de l'anglais ou de l'hindi. Le succès de Mushtaq pourrait contribuer à renverser cette tendance, encourageant la traduction d'autres œuvres régionales, particulièrement celles des femmes et des écrivains marginalisés.