Un historien qui dénonçait les milliardaires pour leurs impôts insuffisants prône désormais une 'ambition morale' pour lutter contre la tyrannie
L'image est l'une des plus inspirantes de l'histoire moderne, révélant le pire et le meilleur de la nature humaine en un cliché. Elle montre une foule d'ouvriers d'un chantier naval dans l'Allemagne nazie, tous effectuant le salut hitlérien – sauf un homme, debout au milieu, les bras croisés, le visage fermé. Pris en 1936, ce cliché illustre le nouveau livre de l'historien néerlandais Rutger Bregman, qui explore comment résister à la peur instillée par les régimes autoritaires. Bregman propose comme antidote l''ambition morale', mélange d'idéalisme activiste et de pragmatisme entrepreneurial pour changer le monde. Dans son ouvrage 'Moral Ambition: Stop Wasting Your Talent and Start Making a Difference', il critique l''illusion de la prise de conscience' qui, selon lui, paralyse souvent la gauche : croire que révéler les injustices suffit à susciter l'action. 'La conscience ne nourrit pas, ne loge personne, ne sauve ni le climat ni les réfugiés', écrit ce végane engagé contre l'élevage intensif. Bregman s'est fait connaître mondialement en 2017 par un TED talk sur le revenu universel, puis en 2019 à Davos en apostrophant les milliardaires sur leur évasion fiscale ('Taxes, taxes, taxes. Le reste n'est que foutaises'). Depuis New York, il explique à CNN pourquoi Black Lives Matter n'a pas engendré de changement profond, pourquoi la gauche le critique souvent, et comment ses parents – une enseignante militante et un pasteur – inspirent son travail. Analysant la photo de 1936, Bregman révèle une découverte clé : les résistants n'avaient pas de profil type (riches, pauvres, jeunes, vieux...), mais 96% acceptaient de rejoindre la résistance quand on leur demandait. 'Le courage s'attrape comme un virus', souligne-t-il, une leçon cruciale aujourd'hui où, face aux pressions autoritaires (comme celles de Trump sur Harvard), 'il ne faut pas obéir par avance'. Comparant notre époque au Gilded Age du XIXe siècle (inégalités criantes, corruption), il espère un nouvel âge progressiste porté par des élites assumant leur 'noblesse oblige', à l'image d'Alva Vanderbilt ou MacKenzie Scott. Malgré les risques dystopiques (IA, automatisation), Bregman entrevoit des possibilités utopiques : repenser le contrat social, abolir l'idée que 'travailler = mériter de vivre'. Concernant Black Lives Matter, il constate l'échec à transformer l'indignation en résultats concrets, contrairement au mouvement des droits civiques : 'En ligne, on suscite facilement empathie et colère, mais sans stratégie, pas de changement.' Fondateur de la 'School for Moral Ambition', il s'attire les foudres de la gauche puriste pour collaborer avec des millionnaires favorables aux taxes. 'Les opprimés veulent qu'on gagne, pas qu'on ait raison', rétorque-t-il, fustigeant les 'perdants nobles' qui préfèrent la pureté idéologique à l'efficacité. Héritier de l'éthique protestante de son père pasteur et du militantisme de sa mère (arrêtée à 68 ans pour climat), Bregman associe questionnement existentiel et action : 'Nous n'avons qu'une vie, très courte. Agissons en cohérence avec nos idéaux.'