L'Intelligence Artificielle à travers le prisme de l'art : un regard critique sur notre époque
Le terme « Intelligence Artificielle » (IA) a été inventé par John McCarthy en 1956, marquant le début officiel de l'IA en tant que domaine de recherche. Ce champ a connu un essor fulgurant durant la seconde moitié du XXe siècle, débutant avec des jeux de raisonnement simples comme les échecs. Aujourd'hui, des millions de personnes utilisent cette technologie chez elles, à travers des assistants vocaux comme Alexa ou Siri. Cependant, le développement le plus marquant ces dernières années reste l'émergence de ChatGPT. Ce modèle génératif, lancé en novembre 2022, est désormais utilisé par plus de 200 millions de personnes chaque semaine. Malgré ses avantages, l'IA soulève également des inquiétudes majeures concernant l'intégrité créative, la propriété intellectuelle et les opportunités d'emploi. Un récent article du Guardian, intitulé « L'IA va-t-elle supprimer les premiers échelons de l'ascenseur social ? », ainsi que les critiques adressées au gouvernement britannique pour son projet d'autoriser les entreprises technologiques à utiliser des œuvres protégées pour entraîner leurs logiciels, illustrent ces débats. L'IA est désormais un enjeu central de notre époque, et les discussions autour de ses implications ne semblent pas près de s'arrêter.
L'exposition « The World According to AI », présentée au Jeu de Paume à Paris jusqu'au 21 septembre, propose une sélection d'œuvres artistiques explorant notre perception du monde « à travers le prisme de l'IA ». Réunissant des créations réalisées entre 2016 et aujourd'hui par plus de 30 artistes de renom, dont Julian Charrière et Hito Steyerl, cette exposition cherche à élargir le récit autour de cette technologie, en examinant ses potentialités comme ses écueils. Nous avons échangé avec Ada Akerman, commissaire adjointe, pour comprendre les enjeux de cette exposition et son importance dans le contexte actuel.
A : « The World According to AI » est la première exposition de cette envergure à interroger l'IA à travers le prisme de l'art contemporain. Comment est née l'idée de ce projet ambitieux ? AA : Cette exposition découle de deux projets de recherche : « CulturIA. Pour une histoire culturelle de l'IA », dirigé par Alexandre Gefen, et « Les impacts de l'IA sur la culture visuelle » d'Antonio Somaini. Nous souhaitions offrir un aperçu de ce que signifie, aujourd'hui, regarder le monde à travers l'IA en termes de culture visuelle. L'exposition rassemble diverses approches artistiques pour se situer dans ce nouveau zeitgeist culturel. Nous voulions également démystifier l'IA en sélectionnant des œuvres qui déconstruisent ses problèmes tout en révélant ses dimensions méconnues. À une époque où le sujet est au cœur de débats politiques, géopolitiques, économiques, sociaux et épistémologiques, il nous a semblé essentiel de déconstruire certains mythes.
A : L'exposition s'ouvre sur des œuvres d'artistes comme Julian Charrière, qui utilise des objets naturels pour cartographier les aspects matériels et environnementaux de l'IA. Pourquoi ce choix ? AA : Il s'agissait de rappeler que l'IA est une technologie matérielle, contrairement au discours dominant sur sa « dématérialisation », comme l'idéologie du « cloud ». Commencer par une galerie minéralogique surprend le visiteur et permet d'ancrer le discours dans une perspective tangible. La sculpture, avec sa tridimensionnalité, était un moyen idéal pour cela.
A : Qu'est-ce qui vous a le plus surprise durant le processus de curation ? AA : La diversité des approches artistiques face à l'IA. Trop souvent, les expositions sur ce sujet se limitent à des images superficielles. Ici, les œuvres ne se réduisent pas à de « l'art IA » : les artistes utilisent l'IA parmi d'autres médiums, créant des dialogues riches et complexes.
A : Que signifie l'IA pour la créativité aujourd'hui ? Les machines peuvent-elles vraiment co-créer avec les artistes ? AA : Les modèles d'IA, qu'ils soient analytiques ou génératifs, offrent de nouveaux outils aux artistes. Cependant, une œuvre convaincante nécessite toujours une intervention humaine constante. Les artistes doivent maîtriser des stratégies variées, comme créer leurs propres modèles ou personnaliser des outils existants. L'IA peut devenir une extension de l'artiste, un alter ego créatif.
A : Avez-vous une œuvre coup de cœur dans l'exposition ? AA : La série photographique « Salaf » de Nouf Aljowaysir, qui interroge les limites de l'IA dans la représentation de l'identité moyen-orientale, est particulièrement marquante. J'apprécie aussi « Mechanical Kurds » de Hito Steyerl, une installation audiovisuelle explorant le travail des « click workers » dans les camps de réfugiés du Kurdistan.
A : Que souhaitez-vous que cette exposition apporte au débat public sur l'IA ? AA : Nous espérons montrer que ces technologies ne sont ni neutres ni de simples outils. Elles façonnent notre monde, tant matériellement qu'idéologiquement. Une meilleure compréhension de leur fonctionnement est essentielle pour ne pas en être subjugué. En parallèle, nous voulons célébrer leur potentiel artistique et la diversité des nouvelles formes créatives qu'elles inspirent.