Les milliardaires de la tech parient dangereusement sur l'avenir de l'humanité
« Le meilleur moyen de prédire l’avenir est de l’inventer », disait le célèbre informaticien Alan Kay. Cette phrase, prononcée davantage par exaspération que par inspiration, est devenue un mantra pour les entrepreneurs de la Silicon Valley, en particulier pour certains milliardaires de la tech qui se voient comme les architectes principaux de l’avenir de l’humanité. Sam Altman, Jeff Bezos, Elon Musk et d’autres ont peut-être des objectifs à court terme légèrement différents, mais leurs visions pour la prochaine décennie et au-delà sont remarquablement similaires. Ces visions, présentées moins comme des objectifs technologiques que comme des impératifs existentiels, incluent l’alignement de l’IA sur les intérêts de l’humanité, la création d’une superintelligence artificielle capable de résoudre les problèmes les plus urgents du monde, la fusion avec cette superintelligence pour atteindre l’immortalité, l’établissement d’une colonie permanente et autonome sur Mars, et, finalement, l’expansion à travers le cosmos.
Adam Becker, écrivain scientifique et astrophysicien, souligne que trois éléments clés sous-tendent ces visions : une certitude inébranlable que la technologie peut résoudre tous les problèmes, une croyance en la nécessité d’une croissance perpétuelle, et une obsession quasi-religieuse pour transcender nos limites physiques et biologiques. Dans son nouveau livre, *More Everything Forever*, Becker qualifie cette triade de croyances d’« idéologie du salut technologique » et met en garde contre les dangers de cette orientation pour l’humanité.
Les critiques, universitaires et journalistes ont tenté de définir l’éthos de la Silicon Valley au fil des ans, avec des concepts comme l’« idéologie californienne » dans les années 90, ou le « techno-autoritarisme » plus récemment. Becker explique que l’idéologie du salut technologique s’inscrit dans cette continuité, mêlant transhumanisme, foi inconditionnelle dans la technologie et méfiance envers la régulation gouvernementale.
Les milliardaires de la tech s’inspirent de divers mouvements philosophiques, comme l’altruisme efficace, le rationalisme, ou le long-termisme, qui partagent tous une promesse de transcendance et d’un avenir radieux, à condition de ne pas entraver le progrès technologique. Becker souligne également les liens historiques entre ces idéologies et des courants plus sombres, comme l’eugénisme ou le fascisme, citant par exemple l’influence de Julian Huxley ou le manifeste futuriste de Marinetti.
L’un des principaux arguments de Becker est que ces visions futuristes servent souvent à justifier des actions destructrices pour l’environnement, à contourner les régulations, et à perpétuer des inégalités. Pourtant, elles séduisent bien au-delà des cercles de milliardaires, offrant une illusion de contrôle et de certitude dans un monde complexe. Pour Becker, la clé pour résister à ces visions réside dans la prise de conscience collective de leurs conséquences néfastes et dans un retour à une réflexion critique sur les limites réelles de la technologie.