L'effondrement des liens sociaux : Plongée dans le siècle de l'anti-social
Pourquoi passons-nous plus de temps seuls que jamais auparavant ? Plus inquiétant encore, pourquoi semblons-nous préférer cette solitude ? Le journaliste Derek Thompson décrypte l'avènement de ce qu'il nomme le « siècle anti-social ». Chaque avancée technologique n'a pas seulement simplifié nos vies, elle les a aussi rendues plus solitaires. Mais il ne s'agit pas seulement de se sentir isolé ; c'est aussi un choix délibéré de solitude qui reprogramme nos cerveaux pour préférer les écrans aux relations humaines.
Derek Thompson cite l'Enquête américaine sur l'emploi du temps (American Time Use Survey) réalisée par le Bureau of Labor Statistics : les Américains passent aujourd'hui 20 % de temps en moins à socialiser en personne qu'il y a 20 ans, et un temps record seul. Ce phénomène constitue selon lui un fait fondamental de la société américaine contemporaine. Alors que certains aspects des valeurs américaines peuvent être débattus, cette tendance à l'isolement volontaire est indéniable.
Thompson retrace l'évolution technologique des 60 dernières années pour expliquer ce déclin des interactions sociales. Dans les années 1960, la voiture a permis aux gens de quitter les centres-villes pour s'installer en banlieue, privatisant ainsi leur mode de vie. Puis la télévision est arrivée, privatisant les loisirs. Entre les années 1960 et 1990, les Américains ont gagné 300 heures de loisirs par an – qu'ils ont presque exclusivement consacrées à regarder la télévision.
Au XXIe siècle, les smartphones ont privatisé notre attention. Ils nous permettent d'être seuls même entourés de monde, transformant notre conscience en une expérience de solitude à volonté. Thompson parle de « siècle anti-social » plutôt que de « siècle de la solitude » car il ne s'agit pas d'un sentiment involontaire d'isolement, mais d'un choix actif. Les réseaux sociaux comme TikTok illustrent cette tendance, avec des utilisateurs célébrant l'annulation de plans sociaux pour rester seuls chez eux.
Cette préférence pour la solitude s'explique en partie par la biochimie du cerveau. Les réseaux sociaux procurent des pics de dopamine qui épuisent nos réserves naturelles de ce neurotransmetteur. Résultat : lorsqu'un ami propose une sortie, nous imaginons tous les inconvénients potentiels (transport, conversation ennuyeuse) et préférons retourner à nos écrans. Nous dépensons notre énergie dans des relations virtuelles plutôt que dans des amitiés réelles.
Les conséquences sont visibles à tous les âges : les adolescents ont moins d'amis, les jeunes adultes sortent moins, les mariages et naissances diminuent. Les taux d'anxiété et de dépression atteignent des niveaux record. Pire encore, l'IA générative pourrait aggraver la situation, avec des chatbots remplaçant progressivement les amis humains. Des plateformes comme character.ai, où des millions d'utilisateurs entretiennent des relations émotionnelles avec des IA, préfigurent un avenir inquiétant où les interactions humaines deviendront obsolètes.
Pourtant, Thompson reste optimiste : la solution ne nécessite pas d'innovation technologique, mais un changement de mentalité. Il propose de s'inspirer de l'« amistique » des Amish – une philosophie qui consiste à n'adopter que les technologies alignées sur nos valeurs fondamentales. Si les Américains appliquaient ce principe en privilégiant les relations humaines plutôt que le confort numérique, ils pourraient retrouver une société plus épanouie et moins solitaire.