La Chine construit le plus grand projet hydroélectrique au monde au Tibet, suscitant des craintes de 'bombes à eau' et de destruction environnementale
La Chine a annoncé son intention de construire le plus grand projet hydroélectrique au monde dans une gorge reculée de l'est du Tibet, un trésor écologique près d'une frontière contestée avec l'Inde. Ce projet, estimé à 137 milliards de dollars, suscite des inquiétudes quant à son impact environnemental et géopolitique.
Le barrage bloquera le Yarlung Tsangpo, nom tibétain du Brahmapoutre, alors qu'il s'apprête à traverser le plus long et le plus profond canyon fluvial du monde. Avec une capacité de production presque trois fois supérieure à celle du barrage des Trois Gorges, ce projet représente un défi technique et écologique majeur.
Les écologistes chinois soulignent que le canyon abrite l'un des points chauds de biodiversité les plus précieux de la planète. On y trouve certains des arbres les plus hauts et les plus anciens d'Asie, ainsi que la plus riche concentration de grands carnivores, notamment de félins.
L'Inde réagit avec colère, craignant que la Chine n'utilise le barrage comme arme géopolitique. Pema Khandu, ministre en chef de l'Arunachal Pradesh, a qualifié le projet de "menace majeure" pouvant assécher le fleuve ou provoquer des inondations dévastatrices.
Certains experts indépendants partagent ces craintes. Ameya Pratap Singh, de l'Université d'Oxford, estime que ce barrage donne à la Chine un moyen de pression sur l'économie indienne en cas d'escalade des tensions.
D'autres experts tempèrent ces craintes. Ruth Gamble, historienne environnementale, note que les barrages ne retiendront pas de grands volumes d'eau, limitant ainsi leur impact en aval. Cependant, le projet soulève des questions cruciales sur la gestion des ressources en eau en Asie du Sud.
Le site du barrage se trouve dans une zone sismique active, ce qui suscite des inquiétudes quant à sa sécurité. Le plus fort tremblement de terre jamais enregistré sur terre s'est produit en 1950 à seulement 300 miles de là.
Les scientifiques indiens craignent que l'exploitation des barrages ne modifie le débit saisonnier du fleuve, aggravant à la fois les pénuries d'eau et les inondations. Le projet pourrait également perturber le transport des sédiments, affectant le vaste delta du Brahmapoutre.
En réponse, l'Inde envisage de construire son propre méga-barrage sur le Brahmapoutre, le projet SUMP, qui pourrait avoir des impacts environnementaux tout aussi importants. Cette escalade hydrologique reflète les tensions croissantes autour des ressources en eau partagées en Asie du Sud.
La situation rappelle les tensions historiques entre l'Inde et le Pakistan autour du traité de l'Indus. L'Inde a récemment suspendu son adhésion à ce traité, alimentant les craintes d'une militarisation de l'eau dans la région.
Alors que la Chine affirme que le barrage sera sûr et n'affectera pas les pays en aval, des chercheurs chinois soulignent la nécessité de protéger la biodiversité unique du canyon. Ce "Shangri-La biologique" abrite des espèces rares et des forêts primaires intactes qui pourraient être menacées par le projet.
Le débat dépasse les questions environnementales pour toucher à la géopolitique régionale. Comme le note Mehebub Sahana, géographe environnemental, "la militarisation de l'eau est une stratégie périlleuse qui pourrait se retourner contre ses auteurs".