Prendre des photos en public devient un parcours du combattant – et les géants de la tech en sont responsables
Dimanche dernier, je suis parti en centre-ville avec mon appareil photo, à la recherche de cette lumière dorée parfaite. Mon objectif était simple : capturer des clichés des bâtiments centenaires bordant une rue voisine, leurs façades ornées baignées de soleil. En voyage professionnel dans un lieu inconnu, c'est devenu un rituel : arpenter les rues avec un appareil photo, documenter la vie urbaine et l'architecture qui se déroule devant moi. J'ai trouvé mon spot et commencé à cadrer un bâtiment art déco particulièrement frappant. La composition était presque parfaite : la lumière matinale éclairant les détails en cuivre, les motifs géométriques créant de magnifiques ombres. Garé le long du trottoir se trouvait un véhicule banal – un élément du paysage urbain qui donne son authenticité à la photographie de rue.
« Hé ! Qu'est-ce que vous faites ? » J'ai baissé mon appareil pour voir un homme s'approcher de moi, le visage rouge de colère. « Bonjour, répondis-je aimablement. Je prends simplement des photos de l'architecture », en désignant le bâtiment. « C'est ma voiture que vous photographiez. Vous avez demandé la permission ? On ne peut pas photographier les plaques d'immatriculation sans consentement ! » J'ai tenté d'expliquer que je photographiais dans un espace public, que sa voiture était accessoire dans la composition, que la photographie de rue avait une tradition respectée. Rien n'y fit. Il exigea que je supprime toute photo incluant son véhicule, menaçant d'appeler la police.
Qu'est-ce qui a changé ? Ce n'est pas la première fois que cela m'arrive, mais il y a vingt ans, cela aurait été surprenant. À l'époque, les gens comprenaient – ou du moins acceptaient – que les photographes dans les espaces publics étaient des artistes capturant la vie. Aujourd'hui, les géants de la tech ont radicalement altéré la perception de la vie privée et des données personnelles. Google, Facebook, Apple et autres ont collecté nos informations, tracé nos mouvements, monétisé nos vies, tout en nous faisant renoncer à nos droits via des conditions d'utilisation incompréhensibles.
Le public a appris à se méfier des objectifs – tous les objectifs. Quiconque a vu ses effets personnels capturés sur Street View, ou un parent découvrant le visage de son enfant auto-tagué sur les réseaux sociaux, sait désormais que les images peuvent être utilisées contre eux. Ironie cruelle : tandis que les entreprises tech accumulent des bases de données visuelles en toute impunité, ce sont les photographes innocents – pratiquant un art bien antérieur au numérique – qui subissent les reproches.
J'ai observé ce changement progressif. D'abord des regards suspicieux, puis des confrontations occasionnelles, et maintenant une hostilité régulière – comme si mon objectif représentait la même menace que les empires de surveillance corporatifs. Pourtant, la photographie de rue n'a jamais été liée à la surveillance ou à l'exploitation : elle documente l'humanité et les espaces que nous habitons. De Henri Cartier-Bresson à Vivian Maier, ces photographes ont créé des archives visuelles profondes de la vie quotidienne – impossibles à reproduire aujourd'hui dans ce climat de méfiance.
Alors que les photographes sont harcelés, les géants de la tech continuent de monétiser nos vies en coulisses. Je pense à tout ce qui a été perdu : non seulement pour les photographes, mais pour notre histoire visuelle collective. Les générations futures auront moins de témoignages authentiques de notre époque – parce que les géants de la tech n'ont pas respecté les limites, et que nous avons appris à craindre les mauvaises caméras.